PANIQUE DANS L’ASSIETTE
Ils se nourrissent de nos peurs
Préface du Pr Denis Corpet
Professeur émérite (hygiène et nutrition humaine), École nationale vétérinaire, Toulouse
Ex-directeur de l’équipe Inra « Aliments et Cancers », Laboratoire ToxAlim, Toulouse
La préface idéale attire l’attention sans dévoiler l’essentiel. Je ne vous révélerai donc pas le contenu des pages qui vont suivre, préférant vous les laisser découvrir. Elles sont d’ailleurs écrites dans un style agréable, et les sujets traités – aliments, peur, poison, fric – sont passionnants.
Nutritionniste et toxicologue, je mange au moins une pomme chaque jour. Et sans prendre la peine de l’éplucher. Une pomme tout ce qu’il y a de plus « normale », c’est-à-dire qui n’est pas issue de l’agriculture biologique. En espérant vivre assez vieux pour devenir centenaire, j’aurai alors mangé plus de 30000 pommes avec leur peau. Bien évidemment avec les résidus de pesticides encore présents ! Mais ces doses de pesticides sont si faibles qu’il faudrait manger 25 millions de pommes pour ingérer autant de substances cancérigènes qu’en buvant un seul verre de vin, qu’il soit bio ou non. L’alcool est en effet cancérigène. Ce livre traite donc de pommes, de pesticides, d’OGM, de cancer, mais aussi de ceux qui nous « bourrent le mou » en nous faisant peur. Cette enquête nous montre comment ils agissent, et surtout pourquoi ils le font. On comprend alors que c’est « juteux ».
Pour les domaines relevant de mes compétences professionnelles, de l’alimentation, des « produits chimiques » et des OGM, en particulier de leurs effets sur les cancers, ce livre dit vrai. Ces propos correspondent à ce que je sais par mon expérience de chercheur et rejoignent les conclusions de l’immense majorité des scientifiques. Loin des discours anxiogènes, la communauté scientifique partage l’opinion que rien ne remplace le plaisir de bien manger dès lors que l’assiette n’est pas trop pleine et composée d’aliments variés, dont la moitié au moins de végétaux. Mon équipe a ainsi démontré que l’effet pro-cancer des charcuteries est complètement annulé si le repas comporte aussi du calcium, de la vitamine E ou des polyphénols (apportés respectivement par un yaourt, quelques amandes ou un verre de vin rouge).
Quant aux chapitres sur le fonctionnement de cette fabrique de la peur et sur ceux qui en bénéficient – ONG plus ou moins écolos ou entreprises de toutes tailles –, leur lecture m’a fait prendre conscience d’un monde que j’ignorais totalement. Cette enquête minutieuse dévoile une réalité insoupçonnée qui explique les raisons de ces craintes grandissantes au sujet de l’assiette, entretenues par des campagnes alarmistes. Ceux qui dénoncent les pesticides ou les OGM sont peut-être « de bonne foi », mais à la lecture de ces chapitres, on constate aussi que certains d’entre eux en tirent de beaux bénéfices. Jamais je n’avais pensé à ces motivations « intéressées », et j’ignorais que les sympathiques démarcheurs de Greenpeace, croisés dans les rues de ma belle ville de Toulouse, étaient payés pour nous convaincre.
Je comprends désormais beaucoup mieux pourquoi mes enfants et certains de mes amis sont si sceptiques face à ce qui est pourtant démontré dans les labos et confirmé par les statistiques. En effet, si le discours de la communauté scientifique est devenu inaudible, c’est bien parce que la fabrique de la peur a été d’une remarquable efficacité pour mettre les consommateurs « sous influence ». Faire croire à un danger, là où il n’y en a pas.
Enfin, l’auteur de ce livre s’inquiète de l’anxiété que suscitent les produits agricoles ordinaires. Il n’est en effet pas très raisonnable de s’épouvanter devant une pomme, un bol de muesli, une salade, un morceau de viande ou un verre de vin. Non seulement c’est idiot, mais cela fait du mal à la grande majorité des agriculteurs. Ces agriculteurs qui façonnent nos terroirs et qui produisent une variété extraordinaire d’aliments dans des conditions exceptionnelles. Pour ma part, je suis désolé aussi de voir tant de gens généreux, honnêtes et militants, qui se lancent dans une guerre contre les pesticides et les OGM, estimant que ce sont des combats majeurs pour l’Homme. Ils négligent du coup des problèmes bien plus importants, comme la faim dans le monde, les inégalités entre les peuples, le chômage ou encore le dérèglement climatique. Puisse ce bouquin leur ouvrir les yeux !
Bio du Pr Denis Corpet
Denis Corpet est professeur émérite « Hygiène et Nutrition humaine » (Ecole nationale vétérinaire, Toulouse) et ancien directeur de l’équipe INRA « Aliments et Cancers » (laboratoire ToxAlim, Toulouse). Il est l’un des 22 experts internationaux ayant participé en 2015 au Groupe de travail sur « viande et cancer » au Centre international de recherche sur le cancer.
*« Je déclare n’avoir aucun conflit d’intérêt. Je n’ai pas reçu d’argent ni de cadeau, et ne compte pas en recevoir, d’un fabricant de pesticides ou d’OGM, ni de l’auteur de ce livre que je ne connais d’ailleurs pas personnellement.»